Habitués des salles d’attente

Quand on vit avec une personne lourdement handicapée ou très malade, les salles d’attente, ça nous connaît. Elles sont nos corvées quotidiennes. Plus ou moins confortables, plus ou moins calmes, elles sont de bonne ou mauvaise augure quant à la consultation à venir : peut-être même le reflet de l’attention que porte le professionnel à ses patients.

Découverte de la nouvelle salle d’attente

Mon fils a rendez-vous à 14 heures, on se dépêche pour arriver à l’heure. Après mon rituel de recherche des clés partout dans la maison, nous sautons dans la voiture : ¾ d’heure de route jusque chez un nouveau spécialiste, un de plus.

En entrant, j’ai l’impression que les personnes arrivées avant nous font passer le temps en jouant à la chaise musicale : 6 personnes assises, une personne debout. Mais, trois personnes s’en vont justement avec le patient qui sort de consultation, nous nous précipitions sur une chaise libre, une aubaine.

Je tente de donner un jouet à Pierre : je trouve 6 pièces de Lego dépareillées et un socle à Lego, mais d’une autre taille, ça commence mal. J’aperçois alors un puzzle facile à réaliser et décide d’installer Pierre à la petite table pour réaliser cette activité en autonomie. Pour ma part, je me choisis une revue, n’ayant pas eu le temps, en quittant la maison, d’emporter ma propre lecture.

Alors que Pierre progresse dans son puzzle, j’apprends avec stupéfaction que « Facebook vient tout juste d’être créé », l’article est illustré par une photo de Mark Zuckerberg, mais en plus jeune. Quelques pages plus tard, « le Président Jacques Chirac est en visite en Arménie »… Création de Facebook, le Président Chirac… je regarde la page de couverture : « octobre 2006 », ce sont les nouvelles fraîches d’il y a 10 ans, 10 ans !

Plus que 2 pièces de puzzle pour compléter le bonnet de Oui-Oui et découvrir la dernière roue de sa voiture. Je relance Pierre apparemment tombé en panne dans son activité, rien ne se passe, il chouine : le puzzle est incomplet, il finit par pleurer. Par chance, j’aperçois un train musical et le lui propose pour faire dispersion, mais les 4 seuls boutons qui ne soient ni enfoncés ni bloqués restent désespérément muets, zut, les piles sont mortes. Pierre commence à s’impatienter et se balance frénétiquement sur sa chaise bancale, ce qui énerve ma voisine de gauche qui plie son enveloppe de la CAF en huit pour la mettre sous le pied de la chaise rebelle.

Dans une salle d’attente, on attend et on est patient

Et toujours pas la moindre apparition du médecin depuis notre arrivée, mais que fait-il donc depuis 20 minutes que le dernier patient est sorti ? Et visiblement encore 2 patients avant nous, comment Pierre va-t-il faire pour tenir le coup : Pierre est autiste. Et dire que j’ai laissé la vaisselle dans l’évier pour être certaine d’arriver à l’heure.

Il fait chaud dans cette salle d’attente, les enfants gesticulent, le petit garçon à lunettes vient de donner un coup de pied à sa sœur. Pierre a trouvé une vieille poupée ébouriffée qui n’a même pas d’habits sur elle : il la manipule dans tous les sens, heureusement que ce n’est qu’une poupée, j’ai le mal de mer pour elle. Ça sonne, et voilà une nouvelle famille, nous nous entassons un peu plus encore. Le nourrisson de la dame d’en face vient de faire dans sa couche, quelle horreur, je me précipite pour ouvrir la fenêtre, en me hissant du vieux fauteuil en osier qui n’arrête pas de me piquer les fesses avec ses brins qui ressortent, la bête noire des collants en nylon.

Enfin, voilà le médecin, c’est pas trop tôt, il appelle le prochain patient. Je me dis qu’à ce rythme-là, on n’est pas couché.

Pierre commence à sauter comme un kangourou, les autres enfants ont dispersé des jouets partout parterre, quel chantier ! Le monsieur récemment entré vient de recevoir un appel sur son portable, c’est pas possible de parler aussi fort, il doit être sourd. Pierre se remet à pleurer. Les patients commencent à comparer leurs horaires de rendez-vous : plus d’une heure de retard, et dire que j’aurais largement eu le temps de faire ma vaisselle. Je m’occupe en regardant la déco : la tapisserie doit avoir au moins 20 ans, probablement l’âge du cabinet, les cadres sont de travers, la table basse déborde de revues : Paris Match, VSD, Marie-Claire, l’Argus. Au coin, on voit la trace de l’ancien lavabo démonté, nous sommes sans doute dans un ancien cabinet de toilette ou une chambre avec lavabo. On imagine, on s’occupe comme on peut. Les regards sont fermés.

Une heure plus tard : « Pierre D. », ouf, c’est à nous. Pierre est tout énervé. Je réalise le nombre d’heures de ma vie passées à attendre dans des salles d’attente et je saisis à quel point c’est important de proposer un espace confortable à ses patients.

Heureusement qu’il y a l’orthophoniste

Depuis 6 ans, nous nous rendons 2 fois par semaine chez l’orthophoniste de Pierre, une toute autre ambiance, heureusement. A l’inverse de la majorité des salles d’attente que nous subissons, j’ai beaucoup moins l’impression d’y perdre mon temps, ma vie et d’y être malmenée.

La première chose qui frappe en entrant est le respect. Les chaises sont solides et confortables. Sur la droite, une étagère exhibe une petite pancarte manuscrite, sobre mais accueillante, comme le reste : « Servez-vous !». A ses côtés un thermos contenant de l’eau chaude, des gobelets, du café, du thé, du sucre et en fonction des saisons : des bredele (gâteaux de Noël alsaciens), des petits chocolats, des cerises. Ici et là, des articles récents sur le handicap, des infos sur les manifestations, colloques, formations, des articles de journaux sur la vie associative locale ou nationale. Des jouets complets pour les petits patients et leurs frères et sœurs, quelques revues récentes pour tous les goûts.

En buvant le café, on se retrouve chaque semaine entre mamans (et papas).

Et s’il arrive que l’une des orthophonistes ait un peu de retard, cette attente est toujours un enrichissement, un moment de convivialité, une parenthèse dans notre parcours du combattant.

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1 Commentaire
  1. Pascal Szpynda 8 années Il y a

    Très bon article,………. un exemple qui illustre vraiment que la vie familiale s’adapte à l’extrême pour que nous puissions accompagné nos enfants. Une adaptation extrême et même impensable pour « M Tout le monde , Il suffirai souvent d’un peu de flexibilité de la part des autres, pour rendre le quotidien un peu plus acceptable pour nous et surtout nos enfants.

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